Le nom de Peter S. Beagle évoquera peut-être quelque chose aux amateurs de fantasy depuis la parution de
La dernière licorne, un classique pour la jeunesse qui a déjà fait l'objet d'un post sur ce forum.
Les six nouvelles qui composent ce recueil sont moins évidentes à classer. Elles tiennent à la fois du merveilleux, du conte (dans la forme narative), du fantastique (pour certains thèmes), de la fantasy urbaine (pour le décor) et même de l'absurde. Bref, le contenu est très éclectique et c'est tant mieux : l'auteur fait vagabonder son imagination sans souci des catégories. Pour autant, il ne s'agit pas d'un recueil fourre-tout comme on en trouve souvent : les nouvelles ont plusieurs points communs, tant sur les thèmes que dans l'écriture. Bref, il y a une certaine cohésion, renforcée par la sensibilité et la délicatesse propre à cet auteur (on est loin de certaines sagas guerrières à la Conan !).
C'est aussi l'occasion de découvrir Beagle dont la production, parcimonieuse, a été peu traduite chez nous.
Chacune de ses histoires raconte l'irruption d'une créature fantastique dans un quotidien banal, apparitions incongrues semblant surgir d'un rêve qui ne suscitent pas la crainte mais un émerveillement souvent teinté de mélancolie. Mais aussi vécues par les personnages humains comme autant de rencontres déterminantes, à des niveaux toutefois variables. Les relations de couple homme-femme sont aussi très présentes. Mais ce qui fait l'unité (et l'unanimité) du recueil est une écriture d'une délicatesse duveteuse, d'une subtilité et pourtant d'une limpidité remarquable, oscillant entre la (fausse) naïveté et une certaine ironie plus amer que mordante.
Je donnerai juste ici un bref aperçu de quatre d'entre elles.
Dans
Le professeur Gottesman et le rhinocéros indien, un professeur de philosophie visitant un zoo rencontre un rhinocéros qui non seulement parle mais fait preuve d'une étonnante éloquence. Pourtant, en-dehors de toute logique, l'animal prétend être une licorne et toute l'habileté rhétorique du professeur ne pourra venir à bout de cette croyance. Bientôt, l'animal s'installe chez le vieil homme...
Entrez, Miss Death reprend un thème bien connu du fantastique : la Mort incarnée. Lassée par les sempiternelles réceptions qu'elle organise, Lady Neville a l'idée d'inviter un hôte au statut hors du commun qui devrait la divertir : la Mort en personne. La nuit du bal, celle-ci fait son apparition sous la forme plutôt inattendue d'une candide jeune fille qui, contre toute attente, ne tarde pas à charmer toute l'assemblée. Mais le jour arrivant, il faudra en payer le prix...
Dans
Lila le loup-garou, un homme cohabite avec une jeune femme qui souffre d'un petit défaut assez ennuyeux : elle se transforme en louve à chaque pleine lune, disparaissant alors dans New-York pour se nourrir pendant que son petit ami ronge son frein à attendre son retour. Rien d'étonnant à ce que Lila soit un peu névrosée et son compagnon dépassé. Mais lorsqu'un soir de printemps, la louve se retrouve en chaleur, attirant à elle tous les chiens du quartier, les vrais ennuis commencent vraiment...
Une danse pour Emilia, la dernière et de loin la plus longue du recueil, commence à pas mesurés, et reste la plus proche d'une nouvelle mainstream, le merveilleux n'apparaissant vraiment que dans le - très beau - dernier tiers. Je dirai juste qu'il s'agit d'une histoire de réincarnation dont un animal, là encore, est le réceptable de l'âme d'un homme qui trouve le moyen de livrer une dernier message à sa compagne.
On referme ce livre à la poésie éthérée avec un sentiment prégnant de mélancolie et de nostalgie, celui que l'on ressent à la fin de chaque livre de qualité qui nous paraît toujours trop court.
A réserver aux gourmets plutôt qu'aux gourmands.